Personne ne gagne - Jack Black

Publié le par Au vrai chic littérère

Il est désormais de notoriété publique que les éditions "Monsieur Toussaint Louverture", maison basée en région bordelaise, font un important travail de dénichage de textes oubliés ou de mise en avant d'ouvrages passés jusqu'alors trop inaperçus et méritant une nouvelle exposition. C'est justement le cas de cette biographie, traduite et publiée par Gallimard en 1932, retraduite et rééditée en 2007 par Les Fondeurs de briques sous le titre de "Yegg".

Personne ne gagne est le récit digne et probe d'un type malhonnête, qui raconte sans forfanterie ce qu'a été sa vie aventureuse.

Jack Black naît en pleine période de transition. Le Far-West c'est presque fini, les légendes qui l'ont façonné ont quasi toutes disparues (Jesse James qui marqua tant l'auteur vient d'être abattu), c'est l'heure du boom économique, la conquête est achevée, le train relie désormais les deux côtes du pays. Ce train qui va avoir une si grande importance dans la vie de Jack.

Jack est un hobo, un vagabond ferroviaire. Et le vagabondage vous expose à de nombreuses rencontres, de celles qui bouleversent votre destinée, vous entraîne dans une course folle que la prison n'arrêtera évidemment pas.

Jack fraye dans le milieu interlope des types qui "font la route", ce peuple des invisibles, et socialise au cours de rassemblements périodiques (qu'ils nomment ironiquement des conventions) qui, l'alcool aidant, se terminent généralement assez mal. Au cours de ses pérégrinations il croisera toute une faune de personnages bigarrés telle cette Salt Chunk Mary, mi receleuse, mi patronne de bordel et protectrice de gangsters ayant besoin de se faire oublier un temps; Saltimonious Kid, le mentor, le complice et l'instructeur avec qui ils monteront quantité de coups habiles et retors, mais aussi des avocats véreux, des putes au cœur plus ou moins grand, des logeuses acariâtres, des vauriens sans morale...

Ce qui fascine dans son récit c'est autant les arnaques, la prise de risque, le quatuor préparation - exécution - prison - évasion - que l'incertitude de cette vie aventureuse à la mesure d'un pays, dans une Amérique révolue et désormais enchâssée dans le mythe.

Ce texte réveille sournoisement le côté gangster romanesque qui sommeille en chacun d'entre nous... il réactive durant quelques belles quelques secondes les fois où nous avons puérilement un jour envisagé qu'un casse serait LA solution à tous nos problèmes. L'empathie avec son personnage fonctionne et l'on se surprend à se réjouir de ses coups réussis et à regretter qu'il se fasse épisodiquement pincer.

Et puis viendront le jeu, l'opium, l'absence totale de vie affective, la solitude et la lente déchéance qui l'amèneront à perdre confiance. Imperceptiblement le texte émeut face aux difficultés qu'éprouvera Jack à trouver la force de changer. Si jamais il ne se vante de ses faits et méfaits, jamais il ne se plaint, s'il raconte les faits, simplement, il reconnaît que sa morale n'est pas celle des "bonnes gens", qu'il a adopté des règles de conduite qui l'excluent et ne lui permettent à aucun moment d'être serein. Sa vie est violente, il l'accepte, jusqu'au moment inexorable où, à bout de forces, il finira par se demander comment, par quel processus et pourquoi il en est arrivé là.

Au final, il y a dans cet unique livre écrit par ce truand repenti plus d'humanité et de vie que dans bien des œuvres complètes rédigées par des auteurs autocentrés et redondants.

Ici quel souffle ! Quelle vitalité ! Et on referme le livre en se disant qu'on a eu la chance de partager durant quelques heures les émotions, les doutes, les exaltations et les revers de fortune d'un cousin de Jack London, un oncle de Huckleberry Finn, un collègue américain d'Arsène Lupin.

Personne ne gagne, de Jack Black - Editions Monsieur Toussaint Louverture - Traduit de l'anglais par Jeanne Toulouse et Nicolas Vidalenc - 11,50 €

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