Mon oncle Oswald - Roald Dahl
C'est un véritable mystère. Une de ces énigmes qui vous laissent pantois d'incompréhension. La gueule grande ouverte, les yeux dans le vide, le cerveau aride.
Comment se fait-il que ce putain de bon livre ne trouve pas une place de choix dans les foyers français ? Comment expliquer que des centaines de milliers de personnes dans ce pays, depuis deux générations maintenant, aient lu durant leur enfance, et souvent même relu des ouvrages aussi magiques que Matilda, Sacrées sorcières, Charlie et la chocolaterie et quantité d'autres... et qu'une fois adultes elles n'aillent pas se régaler encore une dernière fois avec le seul roman que Roald Dahl ait écrit spécialement pour eux.
Quelqu'un peut-il m'expliquer ? M'expliquer pourquoi si peu de gens le connaissent et l'ont lu ?
Je ne tiens pas à me faire redresseur de torts, je me dis plutôt que vous avez une sacrée chance, et que le découvrir est toujours une possibilité, qu'il n'est pas trop tard pour vous rattraper.
Mais au fait, de quoi s'agit-il au juste ?
L'argument est simplissime. Roald Dahl ayant retrouvé les carnets intimes de son oncle Oswald propose d'en faire découvrir aux lecteurs une section du volume XX, écrite en juillet 1938, celle où il explique comment, à 17 ans, il fit fortune. Je ne dirai rien de plus sur le contenu de l'histoire pour ne pas gâcher le plaisir que les éventuels futurs lecteurs (ceux que j'aurai convaincus) tireront de leur lecture.
Oswald est un oncle comme tant d'entre nous avons rêvé d'en avoir un.
Extrait du premier chapitre du roman :
Voici qu'à nouveau j'éprouve le besoin de rendre hommage à mon oncle Oswald. Je veux parler bien entendu, du regretté Oswald Hendryks Cornelius : le connaisseur, le bon vivant, le collectionneur d'araignées, de scorpions et de cannes, le passionné d'opéra, l'expert en porcelaines chinoises, le séducteur de ces dames, et sans nul doute le plus grand fornicateur de tous les temps.,Je sais, d'autres personnages célèbres ont prétendu à ce titre de gloire, mais ils se retrouvent simplement couverts de ridicule quand on compare leurs prouesses à celles de mon oncle Oswald. Je songe en particulier à ce pauvre Casanova. Il sort de la confrontation avec l'allure d'un homme atteint d'une grave déficience de son organe sexuel.
Quelques pages plus loin, Oswald affirme :
La fortune, quand elle n'est pas héritée, s'acquiert généralement par l'un des quatre moyens suivants : l'escroquerie, le talent, le jugement inspiré, ou la chance. La mienne a pour origine une combinaison de ces quatre éléments. Suivez-moi attentivement, vous ne tarderez pas à comprendre.
Et voilà, à chaque fois que j'ouvre ce livre et que j'atteins ces quelques lignes-là, je me fais avoir. Je me retrouve à le lire entièrement. C'est la troisième fois que je tombe dans le panneau et je n'arrive pas à épuiser le plaisir que j'y prends tant l'histoire foisonne de digressions, d'anecdotes, de rebondissements...
Systématiquement je suis impressionné par la qualité, la décontraction et la fluidité de l'écriture, par ce mélange de distinction toute britannique et de grivoiserie pimpante.
Ah ! Une chose que je puisse encore vous dire. L'un des nombreux mérites de ce livre est de nous faire rencontrer les plus grands génies vivants du début du XXème siècle (un peu à la façon de Sacha Guitry lorsqu'il les filma en 1915 dans "Ceux de chez nous" - https://www.youtube.com/watch?v=hhvOeoOl17Y). Ainsi on y croisera Einstein, Proust, Monet, Puccini, Joyce ou George V dans leur intimité la plus, disons... intime.
Je ne souhaite pas en dévoiler davantage et pardonnez-moi si j'insiste, mais c'est une mignardise à déguster séance tenante, à emprunter, à acheter, à piquer à vos amis éventuellement, qui mérite d'être enfin reconnue par les lecteurs français pour un des chefs d'oeuvre de l'humour anglais à l'instar des Jeeves de Wodehouse, des innombrables oeuvres de Saki ou de l'autodérision d'un Jerome K. Jerome.
Alors, s'il vous plaît, si vous connaissez un auteur francophone de cette trempe, de cette verve, de cet humour irrévérencieux et pince-sans-rire, faites-le moi connaître, je suis preneur !
Mon oncle Oswald - Roald Dahl - Gallimard 1981 ou Folio 1986