Les aventures extravagantes de Jean Jambecreuse, artiste et bourgeois de Bâle - Assez gros fabliau

Publié le par Au vrai chic littérère

 

Ça faisait un petit moment que j'avais envie de retrouver le plaisir de lire un bon roman historique et si possible empreint d’esprit rabelaisien. J'ai beaucoup cherché et finalement trouvé, ce livre, passé un peu inaperçu au moment de sa sortie en 2013.

Résumé de l’éditeur

1515. Pendant que Français, Italiens et Suisses s’étripent à Marignan, que le pape Léon X s’acharne à embellir Saint-Pierre de Rome, qu’Henry VIII d’Angleterre n’a encore qu’une épouse – celle de son frère – et que le prince turc Suleïman se prépare à devenir Soliman le Magnifique, le jeune Jean Jambecreuse, peintre, quitte sa ville natale d’Augsbourg pour parfaire son apprentissage à Bâle, ville alors en plein essor. Jean veut connaître le latin, la langue internationale de l’époque, celle qui, il le pressent, lui permettra de passer de l’ancien statut d’artisan à ce nouvel état dont on commence à parler en Italie et qui rapproche le peintre du poète : celui d’artiste. Il va alors se frotter aux plus grands penseurs de son temps : Érasme, pour lequel il illustre les marges de l’Éloge de la folie, mais aussi Léonard de Vinci, qu’il suit jusqu’à Amboise où le vieil homme termine ses jours, et auquel il dérobera certains papiers compromettants. De surcroît, par-delà l’apprentissage de son art, il va faire celui de la vie, laquelle est faite de bruit, de paillardise et de fureur.

Jean Jambecreuse, traduction littérale de Hans Holbein (1497-1543), par ses péripéties, nous entraîne dans une période de bouleversements politiques, artistiques (la Renaissance) et religieux (la Réforme), violente et exaltée. Voyager c’est avant tout s’exposer aux multiples dangers que l’on peut rencontrer, rapines, viols, meurtres au détour de chaque sente. S’ils sont dangereux, les voyages sont aussi longs, très longs et propices aux rencontres et les retours fêtés à grands frais. Ce roman d’apprentissage convoque avec plaisir les scènes attendues d’un tel ouvrage. Il ne nous épargnera ni les banquets ripailleurs, ni le procès en sorcellerie et les tourments afférents, ni les fuites rocambolesques à travers les ruisseaux fangeux, ni les visites aux bordels où est bien pris qui croyait prendre… faisant revivre tout un monde d'imprimeurs, d'aubergistes, de mercenaires, de servantes ou de filles de joie.

Ce roman n’a rien de moralement correct et c’est bien son ton, sa langue fleurie, ses rebondissements tour à tour saugrenus voire cruels (enfin connaître la véritable raison de la mort du grand Leonardo) et ses paillardises bien troussées qui en font tout son sel. Le jeu stylistique s'accompagne de quelques anachronismes délibérés, ainsi cette oraison funèbre dans la bouche d'un curé directement pillée chez Victor Hugo ! ou la description du membre viril de Jean directement inspirée d'une chanson des Charlots (1977)... Un petit conseil en passant, lisez les savoureuses notes de fin de chapitres.

Un extrait pour saisir le charme de la langue : « Son mari avait beau voir le double de son âge – elle avait quinze ans lors de ses épousailles – la jeune femme avait pris goût à la chose et avait renouvelé son devoir conjugal chaque soir avec une ardeur répétée et grandissante, jusqu’à ce que le gonfalonier Baer parte à la guerre. Depuis, sa couche était froide, triste et solitaire, et le désir de la chair lui chatouillait bestialement la nature. La veille au soir, elle s’était frictionnée de la main la guenuche, comme en janvier les chats se frottent le cul sur les toits, et avait commencé tout doucement à se mortifier la concupiscence ».

Mais au-delà de cette première couche grivoise, lexicalement inventive, le roman d’Harry Bellet est un livre érudit qui brasse des styles, des personnages (Erasme, Amerbach, François 1er), des citations et bien des situations. Outre l’œuvre de Hans Holbein, il m’a permis de découvrir un graveur de l’époque, qui m’était jusqu’alors inconnu : Urs Graf (ici personnage phallo envers sa femme disant « qui bat sa femme la fait braire, qui la rebat la fait taire »). 

L'auteur nous plonge, avec grand talent, dans le quotidien vivant et créatif des ymagiers bâlois, celui auquel appartient Jean, lui qui, justement, veut s'en extraire pour bénéficier d'une véritable reconnaissance en devenant peintre, aux yeux de tous... quitte à latiniser son nom pour devenir Ioannes Holpenius (petite curiosité : la page qui lui est consacrée sur la version latine de wikipedia https://la.wikipedia.org/wiki/Ioannes_Holpenius).

La littérature contemporaine offre bien peu d'exemples de filiation rabelaisienne (Héloïse ouille ! de Jean Teulé ou la verve des San Antonio) et c'est un vrai plaisir de lecture que nous promet Harry Bellet qui a, certes, un peu trahi l'Histoire, mais il lui a fait un bel enfant.

Les aventures extravagantes de Jean Jambecreuse, artiste et bourgeois de Bâle - Assez gros fabliau, Harry Bellet, Actes Sud, 2013.

Liste de romans consacrés à la peinture sur la page SensCritique du Vrai chic littérère 

https://www.senscritique.com/liste/Litterature_et_peinture/1706318

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